Enfoncer les doigts dans un vagin serait parfois un geste non-sexuel. La récente polémique sur les touchers vaginaux sur patientes endormies pratiqués par des étudiants au bloc opératoire a mis en lumière la conception des gynécologues sur les actes qu’ils posent sur le corps des femmes. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de médecins et d’étudiants se sont offusqués lorsque la loi sur le consentement des patients leur était brandie, et lorsqu’il leur était rappelé que l’introduction par surprise de doigts dans le vagin était assimilable à un viol. Pour toute défense, ils ont levé les yeux au ciel en affirmant qu’un toucher vaginal n’avait rien de sexuel, certains jugeant même utile de préciser qu’ils n’y prenaient aucun plaisir.
En tant que juriste, je ne peux m’empêcher de rappeler la législation. La loi Kouchner impose depuis 2002 qu’ « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
Le toucher vaginal étant un acte médical, il doit faire l’objet d’un consentement préalable de la patiente. Si cette dernière est endormie, elle doit tout simplement avoir exprimé son consentement avant l’anesthésie. Au cas où un étudiant se trouverait dans une salle d’opération et se verrait inviter à introduire ses doigts dans un vagin, la première chose attendue de sa part est qu’il s’assure de l’accord préalable de la patiente sur le geste qu’il s’apprête à poser. Aucun document particulier n’est nécessaire, respecter la loi n’exige qu’une question banale de type « Madame, seriez-vous d’accord pour que l’étudiant untel soit présent dans la salle d’opération et puisse pratiquer tel acte à titre de formation ? ». Contrairement à ce que les médecins prétendent, aucune référence ne doit être faite à une quelconque « non-sexualité » de l’acte. Il ne s’agit que de la reconnaissance dans la patiente d’une adulte douée de discernement et de raison, et capable de poser un choix librement consenti.
La loi sur le viol est également très claire. Le Code pénal français définit ce crime comme :
« tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise »
Le fait d’attendre que la patiente soit endormie pour pratiquer un toucher vaginal peut aisément être assimilé à de la surprise. La loi belge sur le viol est encore plus précise puisqu’elle inclut la question du consentement en définissant le viol en ces termes :
« tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas »
Qu’il soit présent derrière la notion de menace, contrainte ou surprise ou qu’il soit clairement énoncé dans la loi, le non-consentement de la victime est l’élément-clé qui définit le viol. Introduire des doigts dans un vagin est une pénétration sexuelle. Le faire sans l’accord de la patiente est donc un crime. Malgré ce que certains médecins affirment, le plaisir n’est pas un élément constitutif du viol. Il serait en effet trop simple pour un violeur de déclarer « je n’ai pas ressenti de plaisir, Monsieur le Juge. Ce n’est donc pas un viol ».
Il est surprenant qu’après tant d’années d’études, des médecins ne soient pas capables de mettre en œuvre des notions aussi élémentaires, pourtant à la portée de simple quidams.
Circulez, il n’y a rien de sexuel.
Ce qui m’a malgré tout le plus interpelée dans cette polémique, ce n’est pas tant leur ignorance du droit, mais l’insistance des gynécologues à affirmer que les touchers vaginaux n’avaient rien de sexuel. Cette affirmation est non seulement fausse, mais constitue en plus une domination patriarcale sur le corps des femmes.
Premièrement, affirmer qu’un toucher vaginal n’a rien de sexuel consiste à imposer le point de vue du médecin à la femme. Pour ceux qui peinent à imaginer la scène, représentez-vous une femme dénudée, au sexe bien en vue, couchée sur le dos, les jambes écartées, entre lesquelles se trouve un gynécologue, qui lui, en étant entièrement vêtu, lui enfonce deux doigts dans le vagin. Il ne faut pas posséder de grands diplômes pour comprendre que si le praticien ne perçoit peut-être pas le caractère sexuel de son geste, la femme, qui ressent pleinement la pénétration dans la partie la plus intime de son corps, qui n’utilise ses organes génitaux quasiment exclusivement qu’à des fins sexuelles, qui consulte un professionnel de la santé pour obtenir une contraception ou dans le cadre d’un projet ou d’un suivi de grossesse, c'est-à-dire en lien direct avec ses entreprises charnelles, doit faire d’immenses contorsions mentales pour effacer de ce geste toute connotation sexuelle.
Ensuite, les médecins sont, contrairement à ce qu’ils prétendent, très ambigus sur le caractère sexuel de ces actes. J’ai lancé sur twitter l’idée que puisque les touchers vaginaux et rectaux seraient anodins et n’auraient aucun caractère sexuel, les étudiants en médecine pourraient s’entraîner à cette pratique entre eux, exactement comme le font bon nombre d’autres professionnels tels que les coiffeurs, les kinésithérapeutes ou les ostéopathes. J’avoue ne pas avoir suscité un enthousiasme délirant. Les futurs gynécologues se sont au contraire empêtrés dans moult circonvolutions pour expliquer à quel point cet entraînement serait inutile, percevant très bien l’humiliation que constituerait le fait de se déculotter devant leurs condisciples et se faire inspecter les orifices intimes dans une ambiance potache. Un médecin bien à la hauteur de son titre a également repoussé ma suggestion en affirmant « ne pas être la même personne devant un patient et devant un confrère ». En outre, bon nombre de praticiens ont réagi à l’affaire des touchers vaginaux sur patientes endormies en parlant de fantasmes ou de pudibonderie, c'est-à-dire en usant d’un vocabulaire qui renvoie à un imaginaire sexuel. Enfin, les médecins sont éminemment conscients du caractère transgressif de cet acte puisque certains d’entre eux vont jusqu’à l’utiliser comme rite de passage d’introduction à la confrérie médicale.
Plus que tout, nier le caractère sexuel des actes médicaux qui touchent aux organes génitaux des femmes consiste à désexualiser l’accouchement et est la source même des violences médicales commises dans les hôpitaux. Dans un billet précédent « la mère et la putain dans la salle d’accouchement », je démontrais qu’en mobilisant les mêmes organes et hormones, l’accouchement était l’aboutissement d’une union charnelle et présentait de grandes similitudes avec cet acte. Lorsque toutes les conditions favorables sont réunies, des femmes vont même jusqu'à vivre un accouchement orgasmique. De façon plus prosaïque, certains hôpitaux américains encourageraient la masturbation comme analgésique permettant d’apaiser les douleurs des contractions. Quoi qu’il en soit, percevoir une future mère qui accouche comme une femme en train de vivre une relation sexuelle inciterait toute personne étrangère à ne s’approcher d’elle qu’avec infiniment de tact, ne transgresser son intimité qu’en cas de nécessité absolue et ne l’aborder qu’avec une bienveillance inconditionnelle. C’est précisément dans cette philosophie que certaines sages-femmes accompagnant des naissances respectées conçoivent leur relation avec les parturientes.
En revanche, en affirmant haut et fort le caractère prétendument non sexuel des actes gynécologiques, les obstétriciens imposent leur propre vision de ce que doit être la sexualité des femmes. Plus grave encore, ils déshumanisent les futures mères pour les réduire à un objet dont ils peuvent disposer à leur guise et transforment les organes génitaux féminins en une partie de corps aseptisé sur lequel ils peuvent poser sans limite tout geste médical. En désexualisant le vagin, la médecine met en place les prémices physiques et les conditions morales de la violence obstétricale.